Ce lundi 25 avril 2022 débute au tribunal correctionnel d’Évry (Essonne), le procès de l’une des pires catastrophes ferroviaires survenues en France. Le déraillement, survenu à la gare de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013 d’un practice Intercités ayant entraîné la mort de sept personnes et fait plus de 400 blessés. Sur le banc des prévenus: la SNCF, SNCF Réseau et un cadre de la société. Le tribunal correctionnel doit, jusqu’au 17 juin, établir les responsabilités de chacun. Un procès hors normes qui accueillera 184 events civiles. Vingt-cinq témoins et quatre specialists sont cités pour éclaircir le drame.
Il était 17h11, le vendredi 12 juillet 2013, quand un practice à vacation spot de Limoges a déraillé à Brétigny-sur-Orge, une gare où circulaient quotidiennement quelque 400 convois. Une éclisse en acier, sorte de grosse agrafe joignant deux rails, s’est retournée, faisant dérailler le practice qui circulait à 137 km/h pour une vitesse maximale autorisée de 150 km/h. Le choc avait fait trois morts parmi les passagers du practice, quatre parmi les personnes qui attendaient sur le quai, et des dizaines de blessés, soit l’une des pires catastrophes ferroviaires en France.
A Evry, sont jugés le cadre qui a réalisé la dernière tournée de surveillance, SNCF Réseau (qui a succédé à Réseau ferré de France, gestionnaire des voies) et la Société nationale SNCF (héritière pénalement de SNCF Infra, chargée de la upkeep) pour “homicides involontaires” et “blessures involontaires”.
Défaillance dans les opérations de upkeep
L’accusation reproche à SNCF Réseau “des fautes” ayant “conduit à l’absence de renouvellement anticipé” de la voie ou à “l’insuffisance des effectifs”, ainsi que des “défaillances dans l’organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance” à la Société nationale SNCF. Le cheminot, lui, devra répondre d’ “une appréciation fautive”, celle d’avoir effectué “seul la dernière inspection des voies”, avec une consideration “manifestement insuffisante”.
Deux thèses s’affronteront devant le tribunal: celle du défaut de upkeep, contre celle du défaut de l’acier, défendue par la SNCF qui rejette toute responsabilité pénale dans l’accident. Toutes les expertises ordonnées par la justice étayent un processus lent de dégradation combiné à une surveillance défaillante des brokers, tandis que celles mandatées par la SNCF soutiennent une rupture soudaine, indécelable. Une hypothèse qui la dédouanerait mais qui a été écartée par les magistrats instructeurs.
“Devoir de réserve” des cheminots
Dans un lengthy message vidéo solennel diffusé en interne jeudi, visionné par Challenges, Jean-Pierre Farandou, le patron actuel de la SNCF (PDG de la filiale de transports Keolis à l’époque des faits) rappelle qu’il est en “total désaccord” avec les analyses des enquêteurs sur le manque de upkeep ou de rigueur dans le contrôle de la sécurité de l’appareil en trigger. “Si nous étions convaincus de notre culpabilité, nous la reconnaîtrions”, explique-t-il, appelant, à la fin du message, les cheminots à prendre “conscience de la gravité de ce moment” et leur demandant “de respecter un devoir de réserve en laissant la justice faire son travail”.
Pour Me Gérard Chemla, l’avocat de plusieurs events civiles, “l’entreprise est dans le déni complet sur ce qui s’est passé. En dix ans, elle n’a pas évolué, regrette-t-il. Or c’est douloureux pour les familles, d’autant que les sociétés sont complètement désincarnées”. La seule personne physique poursuivie est un cheminot directeur de proximité à l’époque sur cette zone.
L’enquête a été particulièrement longue et complexe. Des écoutes téléphoniques ont été mises en place alors que les juges soupçonnent le service juridique de la SNCF de donner “des consignes” à leurs brokers avant leurs auditions. Le vol de l’ordinateur du cheminot, ensuite retrouvé avec un disque dur vide, complique aussi les investigations.
Mais les enjeux du procès de Brétigny dépassent l’accident lui-même. Les semaines qui viennent mettront aussi en lumière la vétusté du réseau ferré français, son vieillissement et les choix budgétaires de l’Etat actionnaire, privilégiant pendant des décennies une stratégie du tout-TGV au détriment des lignes classiques.
2,8 milliards consacrés à la rénovation du rail par an
Depuis l’accident de Brétigny, la SNCF met en avant les efforts portés sur la régénération des infrastructures. Notamment le remplacement des aiguillages (qui passent de 300 à 500 par an). 12.000 kilomètres de voies (sur un complete de 48.000) ont également été rénovées. Le price range consacré à ces chantiers est passé de 1 milliard (en 2000) à 2,8 milliards par an dans le dernier contrat de efficiency en cours de signature par l’Etat et SNCF Réseau. Mais c’est encore insuffisant regrettent les syndicats et la plupart des specialists.
Dans leur rapport du 9 mars, “Comment remettre la SNCF sur rail?”, les sénateurs Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, dénoncent une nouvelle fois la faiblesse des investissements dans les infrastructures ferroviaires. Ils estiment à un milliard d’euros supplémentaire par an le besoin pour éviter à nouveau le vieillissement des voies, que l’on a seulement réussi à stabiliser.
5.000 kilomètres de voies soumis à des ralentissements de vitesse
5.000 kilomètres de voies sont soumis à des limitations de vitesse pour assurer la sécurité des trains. “Le nouveau contrat de performance (2021-2030) est une catastrophe pointe un responsable syndical de l’Unsa Ferroviaire. Il y a également un vrai problème de perte des compétences en interne” met-il en garde. Surtout, la France est très en retard par rapport à ses voisins sur la modernisation des systèmes de signalisation (ERTMS) ainsi que sur la commande centralisée des postes d’aiguillage. “2,9 milliards d’euros par en moyenne sur la période, cela permettra seulement d’arrêter le vieillissement du réseau principal, critiquait Jean Lenoir, Vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des Transports (FNAUT) lors d’une conférence en janvier, le reste du réseau continuera de vieillir et l’ensemble ne sera pas modernisé”. Pas sur que le procès de Brétigny fasse changer les choses.