Une jolie revanche. En 2019, la nomination de Guillaume Faury à la tête d’Airbus avait été regardée avec un brin de scepticisme par le petit milieu de l’aéronautique. Trop “bleu”, pas assez capé, trop effacé par rapport à la dream group des Tom Enders et Fabrice Brégier, disaient certains. Trois ans plus tard, le président exécutif d’Airbus a fait taire la plupart des critiques. Renouvelé pour trois ans, le 12 avril, élu à la tête du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) en juillet 2021, l’ancien patron d’Airbus Helicopters termine également premier du classement des patrons établi tous les ans par le cupboard VcomV, dévoilé en exclusivité par Challenges. Dans ce palmarès consacré aux dirigeants de la sphère publique (qui ont l’Etat pour actionnaire), Guillaume Faury devance le patron de Bpifrance Nicolas Dufourcq et le PDG d’ADP Augustin de Romanet. Le président du directoire de RTE Xavier Piechaczyk et le patron de La Poste Philippe Wahl terminent respectivement quatrième et cinquième.
Comment expliquer cette première place? Le patron d’Airbus, 54 ans, est jugé très performant sur les trois grands critères examinés par le classement: incarnation de la société, imaginative and prescient stratégique et gestion des crises. Il atteint même la be aware de 16,28 sur 20, proche du file historique du classement (16,55 l’année dernière pour le patron de Stellantis Carlos Tavares). “Guillaume Faury a su parfaitement piloter le groupe dans une crise d’une gravité extrême, s’imposer comme le leader de la filière aéronautique européenne et préparer l’avenir, avec le projet d’avion à propulsion hydrogène”, résume Vincent de La Vaissière, président de VcomV, qui a réalisé 270 heures d’entretiens avec 180 journalistes pour cette édition du classement.
Retour des méga-commandes
Le patron d’Airbus peut effectivement se targuer d’un bilan flatteur. Confronté à la plus grave crise aéronautique depuis la Seconde Guerre mondiale, il a su faire les bons paris. En pleine tempête, il décide de ne réduire la cadence de manufacturing de son best-seller A320neo que d’un tiers (de 60 à 40 appareils par mois). Ce choix, jugé trop ambitieux par beaucoup, se révèle le bon. Airbus n’a eu aucun mal à trouver preneur pour ses avions et a pu enclencher dès 2021 une remontée impressionnante de ses cadences de manufacturing: l’A320neo va passer à 65 avions produits par mois à la mi-2023, un niveau jamais atteint.
Même succès sur le plan business. Malgré un trafic aérien toujours déprimé, les méga-commandes continuent d’affluer: 255 A321neo pour Indigo Partners en novembre 2021, 100 A320neo plus 60 en possibility pour Air France-KLM en décembre. Le 2 mai, c’était au tour de la compagnie australienne Qantas de commander 52 Airbus, dont 12 A350-1000, la plus grande model de l’A350, 20 A220, et 20 A321XLR.
Les résultats financiers sont aussi excellents: l’avionneur a publié mi-février un bénéfice web de 4,2 milliards d’euros, le plus élevé de son histoire. Fort de ces bons résultats, l’avionneur, qui avait supprimé 10.000 postes lors de la crise du Covid, a annoncé 6.000 recrutements en 2022, dont 1.500 en France. “Faury a fait d’Airbus un acteur dominant, très solide, il est vrai en bénéficiant aussi des échecs désastreux de Boeing”, estime Scott Hamilton, analyste au cupboard américain Leeham.
Dufourcq et Romanet sur le podium
Guillaume Faury a aussi su s’imposer en chief sur la décarbonation du secteur, en promettant un avion à propulsion hydrogène à l’horizon 2035. Un objectif jugé ambitieux, voire intenable, par beaucoup, mais qui a posé l’avionneur comme le chief incontesté dans le développement de l’avion zéro émission. “Airbus est plus agressif que Boeing sur le sujet de la propulsion hydrogène, à un moment où la performance environnementale devient un sujet-clé”, salue Ernest Arvai, analyste au cupboard américain AirPerception.
Deuxième du classement VcomV, le patron de Bpifrance Nicolas Dufourcq (15,44/20) est quant à lui salué pour son motion de pompier durant la crise. “Il a été une sorte de ministre de l’Economie bis, en organisant un pont aérien de cash vers les entreprises via les prêts garantis par l’Etat”, indique Vincent de La Vaissière. Le PDG d’ADP Augustin de Romanet, troisième (14,74/20), complète le podium. “Il a su profiter de la crise pour restructurer son groupe, tout en se faisant l’avocat inlassable du secteur aérien, durement critiqué”, précise le fondateur de VcomV.
Quatrième, le patron de RTE Xavier Piechaczyk est la shock du classement VcomV. Inconnu du grand public, il bénéficie de l’impressionnant succès politico-médiatique du rapport Futurs énergétiques 2050, publié en octobre 2021, qui proposait six scénarios pour atteindre la neutralité carbone dans la manufacturing d’électricité d’ici à 2050. Le doc, dont la qualité a été largement saluée, a servi de base au choix, annoncé par Emmanuel Macron, de relancer la development de réacteurs nucléaires. Le président de la République a annoncé le 10 février sur le web site Framatome de Belfort la development de six EPR d’ici à 2035, et la possibilité d’en concevoir huit supplémentaires avant 2050.
Le cas Lévy
Le patron d’EDF Jean-Bernard Lévy surfe également sur ce retour en grâce du nucléaire. Il affiche la plus belle development du classement, avec 30 locations gagnées et fait son entrée dans le prime 10, en 10ème place. Le dirigeant du groupe public a pourtant avalé quelques couleuvres, entre l’échec (provisoire?) du projet de réorganisation Hercule et l’obligation, imposée par l’Etat en janvier face à la hausse des prix de l’énergie, d’augmenter de 20% le quota annuel d’électricité vendu à prix réduit à ses concurrents. “C’est Saint Sébastien martyrisé, criblé de flèches, mais libéré, résume Vincent de La Vaissière. Son infatigable lobbying pour le nucléaire a fini par s’imposer, bien aidé, il est vrai, par la guerre en Ukraine qui a montré le caractère stratégique de la filière.”
Le patron du groupe public n’est pas sorti de la zone de turbulences pour autant: entre les problèmes de corrosion de son parc nucléaire et la vente d’électricité à bas prix à ses concurrents, il estime l’influence de ses déboires actuels à 26 milliards d’euros sur l’exercice 2022.